Les nouvelles façons de penser les espaces de travail : progrès ou recul ?



Laurent Assouly


Ethnologue
Expérience professionnelle d'une vingtaine d'année auprès d'industriels spécialisés dans l'aménagement des espaces de travail et la fourniture de biens d'équipements



Les nouvelles façons de penser les aménagements des espaces de bureaux n’échappent pas aux phénomènes de mode: Flex-office1, Desk sharing2, Fab Lab3 et  work cafés nichés au coeur des espaces de travail.

Les principales entreprises du CAC 40 édifient de nouveaux sièges sociaux emblématiques où murs végétaux et décorations soignées par des architectes de renom sont déployés avec faste et virtuosité pour créer les aménagements accueillants du futur.


La déconstruction des bureaux et des statuts créent de nouvelles tensions sociales

La transition des espaces traditionnels vers le Flex-office requiert à la fois de s'adapter à un mode « self service » et de renoncer à un habitus de lieux et d'objets attitrés.

D'un point de vue opérationnel cette mutation se traduit par un abandon des bureaux cloisonnés, la raréfaction des étages supérieurs dédiés aux directeurs où dans un élan sacrificiel ces derniers rejoignent la légion des salariés moins capés.

Ce rapprochement se veut la symbolique d'un aplanissement des hiérarchies et la preuve tangible d'une démocratisation des organisations. Si cette démarche semble louable, force est de constater que cette agora où se mélangent chefs, cadres et employés facilite également le contrôle, l'hyper circulation des directives et de facto l'endoctrinement des employés ou perçus comme tels par ces derniers.

Une immersion au sein de plusieurs de ces nouveaux lieux durant près de 10 ans en tant qu'acteurs et conseils et un regard d'ethnologue me conduit à une introspection sans concession.

A vouloir tendre vers une normalité, ces directions s'exposent encore plus à la question de la légitimité de leur autorité. Tout comme cette nouvelle promiscuité exacerbe plutôt qu'elle n'atténue la question de la disparité des salaires.

Cette désacralisation de la fonction n'est donc pas sans risque car elle peut être perçu par les salariés comme un rapprochement salutaire ou un accroissement du contrôle.

1  Bureaux non attitrés. Variation esthétisante des espaces de travail, réunions, zones informels ... équilibre recherché entre activités et usages.
2  Bureaux non attitrés et partagés par plusieurs employés pour principalement des populations de consultants et/ou commerciaux.
3  Principe d'un atelier de fabrication favorisant la créativité et l'interaction
4  Le bonheur au travail
5  Le coworking ou cotravail est un type d'organisation du travail  qui regroupe deux notions : un espace de travail partagé (basé sur une configuration en open space), mais aussi un réseau  de travailleurs encourageant l'échange et l'ouverture avec le plus souvent des espaces prenant la forme d'un espace café.
6  Par mode managériale nous entendons des « croyances collectives […] dans le pouvoir quasi magique d’une technique managériale donnée , chargé émotionnellement et complètement dénué de critique » in Administrative Science Quarterly, Eric Abrahamson and Gregory Fairchild , Vol. 44, No. 4 (Dec., 1999), pp. 708-740
7  Lee S., Brand J.L., 2005, Effects of control over office workspace on perceptions of the work environment and work outcomes, Journal of Environmental Psychology, 23, 25, 323‑333.
8  Van der Voordt, D.J.M. & J.J. van Meel (2002). Psychologische aspecten van kantoorinnovatie. Delft: Faculteit Bouwkunde, Technische Universiteit Delft. 11 Van der Voordt, D.J.M. & J.J. van Meel (no date).
9  Rennan A., Chugh J., Klinet T., 2002, Traditional versus open office design, a longitudinal field study, Environment and Behavior, 34, 279‑299
10  Haapakangas A. et al. (2018). Journal of Environnemental Psychology
11  Challenge édition digital « le flex-office et le coworking ne font pas rêver les jeunes », Marion Perroud le 21/11/2018.
12  Selon la mission d'information parlementaire de février 2017 sur "le syndrome d'épuisement professionnel" 315 cas ont été reconnus par la Sécurité sociale mais près de 490 000 cas d'épuisement professionnel pourraient être reconnus par an.

Laurent Assouly